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mardi, août 08, 2006

Trop bon, Trop con

Le pigeon, longtemps et fortement décrié, est pourtant un élément essentiel à notre société. De par son aspect, il provoque au premier contact un rejet systématique de la part de la population.
Grave erreur, car le pigeon est en fait un élément indispensable à la chaîne instinctivement créée par l'être humain.
Il permet d'appuyer sur sa personne un mécanisme complexe qui ne pourrait que difficilement s'accomplir sans sa présence. Cela nécessite certes des scrupules moindres, mais le résultat obtenu quasi à coup sûr permet d'éviter de se perdre en méandres déontologiques qui après tout n'apportent aucun intérêt en comparaison des raisons ayant entraîné la démarche de faire appel au susdit personnage.
En conclusion, le pigeon est un élément fortement utile à ne jamais écarter de ses stratagèmes.

Attention, il ne faut pas confondre avec le volatile homonyme qui lui, pour le coup, est une vraie saloperie !

Et oui fidèles lectrices et lecteurs, vous l'aurez compris, une fois de plus je me serais trop fait avoir par ma gentillesse et mon incapacité à refuser lorsque l'on requiert mon aide.

En fait, vous vous souvenez sûrement de la soirée événementielle à laquelle participait ma boite.
Devant le temps peu clément, j'avais décidé de me réchauffer à l'aides de différentes boissons alcoolisées et rentrer chez moi en montant les marches fût une rude affaire. Néanmoins j'ai pu réussir à accomplir le réflexe premier de tout homme en cette situation : vérifier le courrier dans la boite aux lettres.

Et là, surprise : sur une enveloppe ouverte une personne avait griffonné le mot suivant :

"S'il vous plaît, aidez-moi, j'ai besoin de vous pour me traduire des choses en italien, il n'y a que vous qui puissiez venir à mon aide, rappelez-moi" suivi de son numéro de téléphone.

Mentalement peu apte à creuser la question, je décide de laisser ce nouvel élément perturbateur (oui, les catalyseurs à emmerdes, ça se devine très vite) de côté.

Le lendemain matin, la personne qui avait laissé le mot a opéré ce que les spécialistes s'accordent à définir comme une tentative de suicide : oui, m'appeler à huit heures du matin un lendemain de cuite, c'est qu'à priori on a peu d'attaches à la vie si l'on ne craint pas de se prendre en retour une droite percutante de la part d'un ours mal léché.

La voix permet d'identifier très vite beaucoup de paramètres de l'interlocuteur. En l'occurrence qu'il s'agissait d'une personne âgée, qu'elle avait réellement besoin de mon aide et surtout que c'est le genre de personne qui ne te lâche pas la grappe avant d'avoir obtenu ce qu'elle veut.

Elle m'explique rapidement la situation, de sa voix lassante, monotone et lente : sa soeur est décédée en Italie et a laissé son testament là-bas. Comme mon interlocutrice ne parle pas un mot d'italien, elle a demandé à la concierge qui pouvait la dépanner parmi les voisins, et comme de par hasard, le destin a voulu que je soit le seul habitant de l'immeuble ayant des connaissances en langue transalpine !

Je la rembarre gentillement, encore abruti d'alcool, en lui demandant de m'appeler plus tard.
Et puis là ce n'est pas le moment, je dois me lever pour aller au boulot.
Bon, certes je me laisse encore quelques minutes de repos, tant que je ne ferme pas les yeux tout va bien.
Bon, là je les ai fermés, mais je les ai vite réouverts, tant que je ne me rendors pas, tout va bien !

...

Oups, petit égarement on dirait, vite le réveil, je dois être à 9H au boulot, quelle heure est-il et combien de temps de reste-t-il ?

10H15

...

Ouf, c'est bon, j'ai encore 22 heures et 45 minutes devant moi.

Et c'est généralement devant ces belles preuves de démonstration d'un intellect avancé qu'une petite voix s'élève dans mon subconscient pour pénétrer de toute sa puissance dans mon cortex et m'insuffler ce simple mais néanmoins explicite mot : abruti !

AAAAAAAAAAAAAAAAAAAah, je suis à la bourre.

En une solution ingénieuse, je réussi à condenser en 2 étapes les problématiques de rasage, lavage, habillage et petit déjeuner : prendre les premières fringues qui tombent sous la main et mettre un coup de déo.

Je m'apprête à partir, vêtu de mon short blanc tâché et de mon t-shirt mauve "I love Roubaix" quand soudain le téléphone sonne.

Je décroche (connerie numéro1)
"Allô, c'est encore moi. Vous m'avez dis de vous rappeler plus tard."
Bon, si l'on s'en tient sur un plan de logique simple, ça se tient, mais incroyable qu'une personne ne puisse pas comprendre quand on lui demande gentillement de nous rappeler le soir.
"Je suis désolée, j'espère que je ne vous dérange pas ?"
"Non, non, allez-y, que puis-je faire pour vous ?" (connerie numéro 2)
S'en suis une longue litanie de son malheur, du pourquoi il faut absolument que je l'aide, que sans moi elle est complètement perdue, qu'il lui faut absolument quelqu'un pour .
Je craque, et me laisse entendre dire :
"Bon, écoutez, vu que je ne suis plus à ça près pour mon taff, je peux bien passer 5 minutes chez vous" (connerie numéro 3)

Je sors en courant, descends mon immeuble, monte l'immeuble voisin, arrive devant l'appartement.
La sonnette était désactivée, et sur la porte une inscription fort prometteuse : TAPPEZ FORT !

Je bourrine gentiment à la porte, et la voilà qui vient m'ouvrir.

La voix ne mentait pas sur le physique.
Petite, cheveux blanc, fragile, bref, l'archétype même de la personne âgée caricaturale.

Elle portait une robe de chambre rose cintrée sur sa minuscule silhouette et sa tenue de nuit. Aucun signe distinctif sur cet habit excepté ces petits motifs en forme de... en forme de...

Oh les jolies tâches de sang, que c'est pittoresque !

Bon, c'est foutu, de toute manière elle m'a vu et m'a dit d'entrer. Certes, j'aurais pu jouer sur son hypothétique côté "n'a plus toute sa tête" et me barrer immédiatement, la laissant penser qu'elle avait rêvé de ma venue (c'est si courant chez la gent féminine), mais non, encore groggy et dans ma lancée de conneries, je suis entré.

Grâce à un stage de survie effectué il y a fort longtemps dans une lointaine contrée exotique (la Vendée je crois), mon corps eu le réflexe de survie avant même que mon cerveau ne perçoive les premiers signes de danger : respirer par la bouche pour éviter de sentir l'odeur ambiante.

Je pénètre dans la pièce principale, les cheveux hérissés par le subtil parfum environnant, et là, surprise !

Non, sérieusement, vous ne vous étiez jamais demandé où se situaient les décors pour les sketchs de Groland, quand ils doivent tourner des séquences avec des petits vieux ?

Ne cherchez plus, j'ai trouvé.

Les photos noir et blanc, les peintures à l'huile qui ornent les murs, les meubles qui fleurent bon le modernisme (norme de 1937), la table de nuit intégralement recouverte de boites de médicaments (ce n'est pas possible, c'est une Early Adopter ou quoi ?).

"Vous désirez vous asseoir ?"

Rapide coup d'oeil aux diverses possibilités :
  • Le lit qui fleure bon la naphtaline (hors de question)
  • Une chaise à la stabilité encore plus douteuse qu'un cours de découverte de soi dans les temples raëliens
  • Rester debout

J'opte donc pour la 3° solution.

Là elle m'explique une énième fois la situation. Elle a bien le numéro du cabinet de notaire, mais n'arrive pas à comprendre ce que lui dit la personne, qu'à chaque fois elle semble lui répéter la même chose.

Je prend le combiné, appelle au numéro qu'elle m'indique et là...
Un répondeur, pour informer que le cabinet était fermé ce jour-là.

Je le lui explique, la sens désemparée, perdue.

Par pitié, je lui propose de repasser le lendemain.
Nous convenons que pour pas que je lui démolisse le crâne si elle ose encore m'appeler trop tôt qu'elle passe un coup de fil vers neuf heures du matin.

Et le lendemain, à neuf heures piles, bingo.

Du coup j'avais trouvé encore moins cher que l'horloge parlante.
Bon, plus chiant aussi.

Parce que tous les jours, matin et soir, la voilà qui m'appelle, avec son histoire qui avance au ralenti.

D'un côté je passe chez elle, tombe sur des interlocuteurs, traduit, explique les démarches à suivre, mais l'autre, voilà qu'elle appelle en douce la journée, tombe sur des interlocuteurs francophones, essaye d'avancer en lousedé de son côté, mais se retrouve forcement bloquée à un moment ou à un autre, me rappelle.

Et à chaque fois toujours la même réplique :
"C'est vraiment très gentil à vous de m'aider. Je vous embête hein ?"

Et là, allez savoir pourquoi, on a envie de l'envoyer chier, envie de lui faire comprendre que oui, elle est plus forte qu'une grande diva (sans hurler, elle arrive me à les briser), mais non.
De la même manière qu'un lien synaptique relie le neurone qui dit "Ne surtout pas faire sentir au gros chien en face de moi que j'ai peur" à toutes les glandes exocrines pour qu'elles lâchent des milliers de phéromones hurlant "Aaaaaah, je flippe grave ma race des canins !", et bien un automatisme pavlofien (ou paf le chien, je ne sais plus) fait qu'au moment même où l'on va pour confirmer les affirmations de l'interlocuteur exprimant un effet de dérangement à votre encontre, un contre-ordre vous précède à l'organe vocal et vous vous entendez bêtement répondre "Mais non, pensez-vous, allez-y, je suis toute ouïe".


Mais une fois cela a réellement dépassé les bornes.

Un samedi matin, alors que j'étais tranquillement installé dans mon lit avec ma petite amie, le téléphone...

Bein quoi ?
Ca vous étonne Richard Berry qui mange un yaourt ?

Non ?

Alors pourquoi ça vous étonnerait que Son Altesse Satanissime ai une chérie ?

Quelqu'un d'aussi beau, raffiné, désirable et sensible que moi se devait de connaître un jour avec son équivalent féminin, c'est chose faite depuis.

Mais un parfait amour, aussi intense soit-il, est toujours fragile au début.
Voilà pourquoi, lorsque je peux enfin passer un premier moment d'intimité avec ma douce et tendre, avoir un téléphone qui sonne, resonne, re-resonne parce qu'on ne décroche pas, je considère ça comme du harcèlement moral.

Et ça, nous ne le laisserons pas faire.

Furieux je décroche le téléphone et hurle :
"Bon la vioc tu n'as rien de mieux à faire que de me les briser quand je fait prendre son pied à ma copine ?"

"..."

(oh le con)
"Bonjour Mamie, comment vas-tu ?"


Bon, dans le coup je m'étais trompé.
Mais voilà que dès le lendemain ma vieille voisine remettait ça.

Pour se faire pardonner, elle me promettait même de me donner "un p'tit quelque-chose". Mais voilà, avec elle je sentais plus le petit que le quelque-chose.

Quelques jours encore suivirent, puis ma patience déborda, et je pris la résolution de débrancher mon téléphone fixe.

Un jour....

Deux jours...

Une semaine au final, et je rebranche mon téléphone.

Et là....

rien.

Pas un seul coup de fil.

Bizarre, mais au final l'explication me vint dans la boite aux lettres peu de temps après.
Ma voisine était décédée.

Cela m'a fait un drôle d'effet. Mais après tout il s'agissait du cycle normal de la vie, et je ne la connaissais pas.

Et puis bon, il faut savoir reprendre le dessus sur la vie, prendre les choses avec la distance qui convient pour ne pas se laisser submerger par les sentiments trop forts et parfois inappropriés.

Quelqu'un parmi mes lecteurs cherche un appart ?

Non, je sais, j'ai l'air salaud comme ça, mais je lui souhaite un repos harmonieux et une place au paradis.

Oui oui, vous m'avez bien lu.

Et je suis sérieux.

Après toutes les difficultés que j'ai eu à me dégotter une place convenable en enfer pour mon après-vie, ce n'est pas pour me la taper une fois arrivé là-bas !